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Les défis
Pour les envirosensibles, l’accès à un environnement sain est la condition première du maintien, voire de l’amélioration de leur santé. Le logement constitue le fondement de ce bien-être. En 1990, la SCHL a publié un rapport intitulé « Enquête sur l’impact médical d’un changement d’habitat sur les personnes hypersensibles à l’environnement ». Cette étude menée par le Dr Stephen Barron démontre que, suite à des modifications apportées à leur habitat dans le but de réduire l’exposition aux produits chimiques, tous les participants ont signalé des améliorations à leur santé. 86% ont qualifié ces changements de très importants. 79% ont fait état de symptômes quotidiens avant ces modifications et seulement 10% ont continué de les présenter par la suite. Toutes ces personnes sauf une étaient propriétaires.
Comment se débrouillent les envirosensibles non propriétaires qui doivent trouver un logement parmi les offres du marché actuel? Voici les principaux obstacles rencontrés :
Environnement extérieur
Outre les sources intenses et localisées de pollution (usines, sites d’enfouissement), on note : tours de cellulaires, lignes à haute tension ou lignes principales de distribution d’électricité dans les villes, circulation automobile ou aquatique, voies ferrées, stations d’essence, évents de restaurants, petites entreprises polluantes (lavoirs, ateliers de soudure, de mécanique, décapage de meubles, nettoyages de tapis et de meubles, etc.), fermes conventionnelles, terrains de golf, effluves de savon à lessive et d’assouplisseurs à tissus en provenance des sécheuses et des cordes à linge. En été : pesticides, foyers extérieurs, piscines (vapeurs de chlore), rénovations extérieures des voisins proches (toitures, peintures à l’huile, etc.), travaux de voirie; en hiver : chauffage au bois. Même en l’absence de plusieurs de ces irritants, les poêles à bois, les effluves de lessive et les pesticides demeurent très difficiles à éviter.
Environnement intérieur
À l’intérieur des logements, les obstacles les plus fréquemment rencontrés sont les moisissures, le formaldéhyde et le tabagisme.
Moisissures : les sources de moisissures sont multiples : fuites de plomberie, mauvaise isolation, dégâts d’eau mal réparés, installation défectueuse de fenêtres ou portes-patios, fissures dans les fondations, infiltrations par la toiture, condensation dans les fenêtres affectant les cadres, joints des murs de douche non étanches, calfeutrage de tour de bain, systèmes d’aération contaminés, humidificateurs centraux, etc. Malheureusement, les moisissures sont encore très sous-estimées comme cause de problèmes de santé et les négligences demeurent nombreuses.
Formaldéhyde (formol) : ce produit volatil toxique (on se souvient de la saga de la mousse isolante à l’urée-formaldéhyde) émane des colles à base d’urée-formaldéhyde utilisées dans les matériaux faits de bois pressé tels les panneaux d’armoires de cuisine (avec placage en bois ou en mélamine) et les planchers flottants. Ces derniers se multiplient à un rythme effréné et privent les envirosensibles de nombreux logements qui autrement seraient convenables. Les propriétaires qui rénovent (enlèvement des tapis) et les contracteurs utilisent les marques moins coûteuses – les plus toxiques.
L’odeur caractéristique des armoires de bois pressé ne disparaît jamais totalement. Les armoires âgées de moins de 5 ans ne sont pas considérées sécuritaires pour les envirosensibles. Les émanations des planchers flottants sont tout aussi persistantes.
Le 16 février 2007, l’Émission JE diffusait un excellent reportage sur le formaldéhyde dans les maisons. On y apprenait que Santé Canada n’impose pas de norme pour les émissions de formaldéhyde des matériaux de construction. Des produits conformes à la cote européenne E1 seraient maintenant disponibles. Si vous êtes envirosensible et avez eu l’occasion de tester ces produits, SVP faites-nous le savoir.
Le tabagisme, même s’il a été virtuellement éliminé des lieux publics, prive de nombreux hypersensibles de logement. L’odeur de tabac est très difficile à éliminer de certaines surfaces comme les portes et cadres en bois verni âgé, l’intérieur des armoires, etc. Les surfaces en placoplâtre doivent être nettoyées avec des produits forts (TSP ou autre), voire repeintes, avec les émanations qui s’ensuivent. Ayant aménagé dans un logement doté d’un chauffage à eau chaude, nous avons eu, en démarrant le chauffage à l’automne, la surprise de constater que tout le système était contaminé par la fumée de tabac. Réchauffés par les tuyaux et les ailettes en métal, ces dépôts de fumée embaumaient le logement qui, autrement, n’avait pas d’odeur de fumée. On a procédé au nettoyage à la vapeur des ailettes (avec les fortes émanations de PVC de l’appareil à vapeur!!). Cette méthode ne peut s’appliquer aux plinthes électriques, vu l’humidité qu’elle produit.
Dans les édifices à logements, le tabagisme des voisins est une source de pollution dont il est très difficile de se défendre avec une totale efficacité. La fumée se diffuse par les corridors, par les murs et plafonds à travers tous les micro-espaces de la construction – ou, par l’extérieur, par les fenêtres. Aussi, quand un envirosensible recherche un logement, il doit renoncer à ceux dont les voisins sont fumeurs. Or on retrouve une forte proportion de grands fumeurs parmi les personnes à faible revenu en bonne santé qui peuplent les HLM.
Les parfums d’ambiance (« sent-bon », « branchez-les », etc.) sont devenus ces dernières années un autre ennemi de taille. Lorsqu’on visite un logement fortement imprégné de l’odeur des diffuseurs de parfums d’ambiance, on doit carrément y renoncer, ces émanations extrêmement persistantes pénétrant en profondeur toutes les surfaces. Tous les envirosensibles consultés s’entendent sur ce point : il est impossible de faire disparaître ces odeurs et contaminants jusqu’à rendre le logement tolérable pour nous. Tout comme la fumée, ces parfums se diffusent d’un logement à l’autre.
D’autres obstacles à l’occupation d’un logement : puits de surface, chauffage à l’huile ou au gaz, tapis, rénovations récentes (peinture, vernissage de planchers, prélarts en PVC, etc.), usage d’insecticides à puces, coquerelles, fourmis ou araignées, peinture et rénovations dans l’immeuble, produits de ménage, parfums et fumée dans les aires communes, autres émanations en provenance des logements voisins (parfums, encens, odeurs de cuisson ou de lessive…). Les logements « demi sous-sol » sont préférablement évités, de même que ceux situés au-dessus de garages intérieurs ou de plusieurs types de commerces.
Les informations précédentes concernent les logements standard, non meublés. Les meubles ajoutent d’autres sources de pollution : odeurs accumulées, formaldéhyde des matériaux, traitements Scotchgard, etc. Dans le cas d’hébergement touristique ou dans d’autres résidences, s’ajoutent les émissions inhérentes au mode de vie des lieux : produits nettoyants et de lessive, parfums d’ambiance, produits d’usage personnel parfumés, chauffage à l’huile ou au bois (même des poêles certifiés EPA peuvent émettre des fumées très toxiques, dépendant du bois utilisé), cheminées défectueuses, etc.
On comprend qu’il est extrêmement difficile, voire impossible pour les envirosensibles de trouver un foyer sécuritaire dans le parc locatif actuel, à moins d’une chance extraordinaire, comme un bachelor sain en annexe à une maison unifamiliale. Dans le cas de sensiblité aux champs électromagnétiques, on se retrouve virtuellement dans une impasse. Seules les personnes pouvant s’offrir une propriété ont les moyens de choisir l’emplacement de celle-ci et de la modifier conformément à leurs besoins.
Les combinaisons de pollution extérieure et intérieure conditionnent la gestion de l’environnement :
Air extérieur pur et logement toxique : cette situation est supportable en été, où on peut aérer intensivement – à condition de n’être pas « pollinosensible »! Le camping est une alternative pour ceux dont la forme physique le permet. En hiver, l’aération nécessite un préchauffage de l’air, donc la présence d’un échangeur récupérateur de chaleur. Pas toujours évident.
Logement sain et air extérieur pollué : puisque tout logement doit subir des changements d’air réguliers, il faut pré-filtrer l’air extérieur. Le fait de devoir vivre en vase clos et éviter d’aller à l’extérieur n’est pas sans effet sur la santé psychologique et spirituelle de l’humain, dont l’équilibre global dépend de la communion et de la fusion avec son environnement.
Logement et air extérieur malsains : voilà le cauchemar que vivent beaucoup d’envirosensibles. Une telle situation peut mener à la panique, alors que la personne constate, impuissante, que chaque inspiration aggrave son problème de santé. La ventilation doit être constante et l’air extérieur doit être préfiltré et préchauffé en hiver. Il faut aussi s’équiper de purificateurs d’air au charbon, lesquels ne sont pas toujours silencieux. De plus, plusieurs envirosensibles réagissent aux émanations du charbon même.
Il faut s’efforcer de réduire au minimum les émanations toxiques du logement. Beaucoup peut être fait dans ce sens mais il faudrait un bouquin pour décrire tous ces trucs. S’employer à cette tâche a un effet positif sur la santé et sur le moral. Le résultat varie selon la nature et la quantité des irritants. On doit parfois se résoudre à déménager quand même, mais dans un état de santé moins délabré que si rien n’avait été tenté.
Pauvreté et errance chez les envirosensibles
De tout ce qui précède, on devine que ce problème de santé nécessite d’abondantes ressources financières. Il faut posséder sa propre maison, avec l’emploi de matériaux et aménagements souvent coûteux. On dépend littéralement de son compte de banque pour respirer. Plusieurs, les personnes seules surtout, se retrouvent dans la pauvreté à cause de la maladie. Elles doivent quitter leur emploi dans des édifices malsains, en raison de l’usage répandu des parfums dans tous les milieux, etc. Leurs ressources financières s’épuisent. Plusieurs tombent malades trop jeunes pour profiter d’avantages sociaux liés à l’emploi. Commence alors le cercle vicieux où la santé se dégrade faute d’un logement sain, de suppléments et nourriture coûteux, d’équipements de filtration, etc. - avec appauvrissement accru et de moins en moins de moyens pour se loger convenablement. L’envirosensible à faible revenu déménage souvent, espérant trouver de meilleures conditions ailleurs. Épuisé par les nombreux déménagements et à bout de ressources financières, il finit par se résoudre à rester où il est (souvent en logement subventionné, sans les accommodements nécessaires à sa condition). Sa santé physique et psychologique se dégrade. Le décès prématuré est l’aboutissement final de ce processus – de tels cas se sont déjà produits. Plusieurs recourent au suicide.
Contrairement à la majorité des autres provinces canadiennes, le Québec n’offre ni traitement médical, ni reconnaissance du handicap en ce qui concerne les différents programmes de logement social ou d’adaptation du domicile. Ceci, bien que la majorité des subventions proviennent de fonds fédéraux et que la SCHL (Société canadienne d’hypothèques et de logement) reconnaisse l’hypersensibilité environnementale à travers ses programmes et documents (Santé Canada et la Commission canadienne des droits de la personne reconnaissent également le handicap de l’hypersensibilité environnementale). Ainsi, en Ontario, des hypersensibles ont eu accès au PAD (programme d’adaptation du domicile de la SCHL prévu pour les personnes handicapées) mais ce n’est pas encore le cas au Québec. En novembre 2006, l’association AEHA-Québec a déposé à l’Assemblée nationale une pétition réclamant la reconnaissance du handicap, des soins médicaux et des ressources d’hébergement et de logement pour les personnes atteintes de maladies environnementales.
Cette grave pénurie de ressources et de services en entraîne plusieurs à migrer hors du Québec. Dans le cas des bénéficiaires de la sécurité du revenu cependant, la perte des prestations et la période d’attente à l’arrivée dans certaines provinces peut rendre la chose difficile.
L’errance chez les envirosensibles est de deux sortes : les déménagements répétés d’un logement à l’autre et l’itinérance. Les personnes qui errent d’un logis toxique à un autre peuvent être qualifiées de « sans foyer ». Elles ont un toit sur la tête, mais la définition de ce lieu ne correspond pas à celle d’un « home », d’un foyer, ni même d’un abri : ce dernier se doit d’être un refuge où on est en sécurité, protégé des agressions de l’extérieur. Dans le cas des envirosensibles, la notion de foyer ou d’abri prend une dimension supplémentaire : celle d’une oasis qui leur permet, en principe, de récupérer et continuer à affronter le monde extérieur avec tous les compromis reliés à leur condition de santé.
L’itinérance peut survenir lorsqu’on doit quitter son chez-soi, soit à cause d’un problème environnemental aigu (épandage de pesticides, rénovations ou peinture dans l’immeuble, dégâts d’eau ou d’huile, panne d’électricité hivernale), soit par perte du logis (reprise par le propriétaire, divorce, mise à la porte par l’entourage qui n’accepte pas les accommodements liés à cette condition de santé, etc.). Où une personne envirosensible peut-elle être hébergée en toute sécurité, parfois pendant plusieurs semaines ou mois jusqu’à ce qu’elle trouve un autre logement? Plusieurs se retrouvent sans abri; certains dorment ou passent beaucoup de temps dans leur auto, parfois même en hiver.
L’errance et l’itinérance ne sont pas réservés qu’aux envirosensibles à faible revenu. Les circonstances décrites précédemment peuvent frapper n’importe qui, mais dans le cas des plus démunis, cette situation tend à devenir chronique.
Lors d’un sondage effectué entre mars et août 2000 auprès des envirosensibles par la Environmental Health Coalition of Western Massachussetts, 57% des répondants ont déclaré avoir été sans foyer à un moment ou l’autre. Durant la période du sondage, 10% étaient sans foyer et 10% en hébergement temporaire (le taux d’itinérance dans la population normale serait de 1%). 62% des sans foyer étaient des personnes à faible revenu. (1) Étant donné que 80% des gens atteints sont des femmes, l’itinérance dans des conditions de maladie et de solitude comporte pour elles des dangers supplémentaires et peut donner lieu à des abus de toutes sortes.
Voilà un drame humain totalement ignoré de notre société et très difficile à oser regarder en face. Partout, aux Canada, aux États-Unis et ailleurs, les associations vouées à la cause des maladies environnementales reçoivent les appels de détresse de ces sans-abri de l’ère moderne. Que la prolifération des produits toxiques conduise des êtres humains à une telle déchéance n’est pas facile à admettre. Pour redresser la situation, il faudrait des réformes en profondeur qui ne s’accompliront pas de sitôt : diminution de l’usage des produits toxiques, reconnaissance du handicap par les instances médicales et gouvernementales, construction ou aménagement de logements abordables et de centres d’hébergement d’urgence avec des matériaux et un environnement sains. D’énormes coûts sociaux pourraient être épargnés par la préservation de la santé et de la productivité de ces personnes. Il faut donc attaquer le problème sur le fond par ces réformes, créer de nouveaux projets de logements d’une part, et d’autre part, mobiliser la population : éduquer sur l’habitat sain; découvrir, améliorer et maximiser les ressources existantes : c’est le but du projet Toit-Santé.
Référence
(1) Environemental Health Coalition of Western Massachussets, P.O. Box 614, Leverett, MA 01054. Cité dans Multiple Chemical Sensitivities and Homelessness par Maureen Reynolds : Document (pdf)
Jacinthe Ouellet
Février 2007
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